©Mathieu-N-J Langlois 2021 — Retable du maître-autel de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul au village de Saint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans, Québec.
J’ai remarqué un véritable branle-bas-de-combat depuis l’annonce de Traditionis Custodes, un document du Pape François, qui a suscité beaucoup de controverse. Cependant, le Pape est-il vraiment en opposition au magistère du Pape Benoît XVI, son prédécesseur, voire à la tradition de l’Église ? Non, car en décrétant par son motu proprio « Traditionis Custodes » que la messe de Paul VI — en conformité avec les décrets du Concile Vatican II — est la seule expression de la « Lex Orandi » du rite romain, le Pape François est en parfaite continuité avec le magistère du Pape Benoît XVI. Mais comme dans trop de cas, il semble y avoir une sorte de désir malsain d’opposer les deux derniers pontificats. Voici donc pourquoi il n’y a de contradictions qu’en apparence…
Quand le Pape Benoît XVI avait légiféré qu’un prêtre n’avait désormais plus besoin d’une permission de l’évêque local pour prier l’ancienne messe, il avait en même temps déclaré la messe Tridentine et celle de Paul VI non comme étant deux rites distincts, mais bien deux formes d’un même et unique rite. Cependant, la messe Tridentine était dite une forme « extraordinaire » par rapport à celle de Paul VI qui était la forme « ordinaire ». C’était une affirmation de la part de Benoît XVI que l’ancienne messe ne possède plus la fonction principale dans les liturgies du rite romain. Cette primauté revient à la messe de Paul VI, qui — nous dit le Pape François dans sa lettre accompagnant Traditionis Custodes — doit être priée sans excentricités.
Malgré tout, il est très important de comprendre adéquatement les notions d’« ordinaire » et d’« extraordinaire » ; j’utiliserai l’exemple suivant que nous pouvons facilement comprendre. Les ministres « extraordinaires » de la Sainte Communion sont permis ; pourtant la responsabilité principale de donner la Sainte Communion revient directement aux ministres ordinaires (soit en ordre : les évêques, les prêtres, et les diacres). L’ordinaire possède toujours la place d’honneur, l’office principal, et la primauté. C’est à lui que le rôle principal revient ; toujours. Le prêtre devrait être celui qui fait communier les gens avant n’importe quel laïc, quand cela est possible. Cela n’empêche pas que soit donné des dispenses spéciales pour que l’« extraordinaire » puisse avoir lieu quand le besoin est réel ; par exemple : un prêtre n’étant pas capable d’apporter lui-même la communion à un malade délègue un laïc de confiance pour le faire. Et même si en certains endroits les permissions dites « extraordinaire » sont plus fréquentes qu’autrement, l’« ordinaire » reste toujours ce sur quoi l’on doit s’orienter.
Donc l’ordinaire possède toujours la place d’honneur, l’office principal, et la primauté. Je me répète, mais c’est à lui que le rôle principal revient en tous les cas. Le Concile Vatican II nous a même rappelé certains éléments liturgiques ainsi que des pratiques de piété qui possèdent la primauté sur le reste. Par exemple, le latin l’emporte sur les autres langues et le chant grégorien est l’option officielle et ordinaire des liturgies romaines, quoique la polyphonie non-théâtrale est elle aussi bienvenue. D’autres documents nous rappellent également qu’au moment de la communion, recevoir le Corps du Christ sur la langue et à genoux prime sur le reste. Le missel indique même implicitement la préférence pour la position du prêtre célébrant ad orientem, en tête du troupeau qu’il guide, et tourné vers le Christ. Inutile de dire que la liste s’allonge rapidement !
De plus, l’ordinaire est ce qui est le meilleur en soi ; non que l’extraordinaire soit un péché, ou même une chose mauvaise. Cependant, entre deux bonnes choses, la meilleure est l’ordinaire de par sa fonction principale. De fait, l’Église — guidée par l’Esprit-Saint — s’est rangée en sa faveur. S’il est encore difficile de voir pleinement la beauté de la réforme, c’est parce qu’un esprit, niant certains principes fondamentaux de cette même réforme, circule toujours abondamment tout en se réclamant être la réforme en personne. Trop souvent, les aspects ordinaires — normaux — de la liturgie « ordinaire » sont remplacés par un excès d’extraordinaire. Et parfois, ce n’est même plus de l’ordre de l’extraordinaire, mais ce sont carrément des abus qui règnent, et la liturgie ainsi défigurée perd une portion de sa vigueur. Si le don d’amour du Christ reste intact, la foi et la capacité de prier des fidèles peuvent sérieusement souffrir dans de telles situations. Ça explique pourquoi, au milieu de nombreux massacres liturgiques, beaucoup de fidèles ont retrouvé une liturgie qui emmène à la contemplation et ce, par le biais de la messe Tridentine.

La messe Tridentine est excellente ; je l’apprécie moi-même grandement (voir ci-dessus). Il reste que la majorité prierait aussi bien, voire mieux dans une messe tout simplement bien « ordinaire » comme le préfère l’Église. N’oublions pas que la réforme liturgique voulait mettre davantage l’emphase sur la paternité de Dieu, un attribut qui prime même sur sa royauté. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas un respect à Dieu en tant que souverain suprême de l’univers — bien au contraire — mais n’oublions pas qu’il est père avant tout. Le père a lui aussi une autorité, voire même une certaine souveraineté sur sa maison ; malgré cela, il possède une relation des plus intimes avec ses enfants. La paternité est davantage reliée à la miséricorde, et la miséricorde est le plus grand attribut de Dieu, s’étendant souvent au-delà même de tout les autres.
Voilà un long texte pour dire que l’Esprit-Saint passe et agit présentement par ce motu proprio. Ce n’est en rien une guerre de la part du Pape contre la tradition. Une petite restriction de l’ancienne messe est capable d’engendrer une nouvelle réforme, un mouvement vers une liturgie plus soignée, qui inclut l’usage du latin, le chant grégorien, le silence, la prière ad orientem, et une prédication solide. Il est possible que certains membres du clergé en position d’autorité puissent utiliser sans grand discernement leurs nouvelles facultés, mais s’ils n’agissent pas dignement en bergers, ils seront responsables devant Dieu pour leur manque de paternelle charité. Cependant, la fin — le but de ce motu proprio — est noble ; ce n’est pas parce que des hommes pourraient mal interpréter un bon document que le document est mauvais.
Le Souverain Pontife — qui est aussi maître liturge — possède la pleine autorité de lier et délier l’accidentel — ce qui n’est pas ex cathedra — et il passe par ce motu proprio pour nous enseigner, comme le fit Benoît XVI auparavant, que présentement, l’ordinaire du rite romain est la messe de Paul VI, mais qu’en certains cas, la messe Tridentine est une expression appropriée du Saint-Sacrifice. Et bien sûr, il y a le petit rappel que nous devons toujours être en pleine communion avec chacun des conciles de l’Église, du premier au dernier. Prions en ce mois d’août pour l’intention du Pape… une réforme de l’Église en commençant par nous.
Cet assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence est dû, à un titre singulier, au Souverain Pontife en son magistère authentique, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, ce qui implique la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté et que l’on peut déduire en particulier du caractère des documents, ou de l’insistance à proposer une certaine doctrine, ou de la manière même de s’exprimer.
— Lumen gentium 25
Excellent analysis. Thank you!
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